En fréquentant l’Internet, on a parfois la sensation du tout-gratuit, disponible immédiatement, en ligne. Semblant délivré du règne de la marchandise et des règles commerciales, l’internaute peut avoir l’illusion d’un espace fondé sur le don et l’échange. L’altruisme et la générosité remplaçant alors les dollars et les euros. Un tel sujet est si vaste qu’il serait difficile d’en appréhender ne serait-ce que les limites ; mais on peut éclairer cependant certains points, sans toutefois en aborder la question philosophique, car je me suis rendu compte en préparant ce sujet que le domaine était très vaste et embrassait de nombreux aspects et perceptions, tout en soulevant de véritables débats parmi des pointures dans de nombreux sujets hétéroclites.
Sommaire
Préambule
Aux spécialistes puristes qui s’offenseraient d’imprécisions, ou d’approximations malheureuses, je vous saurais gré de ne pas m’accabler et de partager votre savoir ; je ne suis qu’un autodidacte n’ayant pas fait d’étude d’économie, de marketing, d’informatique, etc., s’efforçant de démythifier quelques mécanismes commerciaux.
De quoi allons nous parler alors ? Nous allons donc évoquer le mécanisme ou les mécanismes permettant la gratuité d’un produit ou d’un service sur le net, et les bénéfices et profits à livrer un service ou un produit gratuit aux internautes. Quel en est l’enjeu ? Vous faire réaliser que rien n’est fortuit et que tout, presque, n’est qu’histoire de gros sous. Par commodité, nous appellerons donc le fournisseur du produit ou service gratuit l’acteur, quel qu’il soit (société, particulier, etc) ; nous appellerons le bénéficiaire le client.
“Rien n’est jamais sans conséquence, En conséquence, rien n’est jamais gratuit.” [Confucius]
Le financement de la gratuité
La majorité de la gratuité disponible sur l’Internet est ce que l’on pourrait prétendre de la fausse gratuité. Cette nouvelle économie s’appelle déjà la Freeconomics, que l’on pourrait traduire par l’économie de la gratuité. C’est tout un concept d’anciennes techniques commerciales adaptées au Net et à ce nouvel environnement. Nous allons voir ici plusieurs démarches permettant aux acteurs de proposer la gratuité à leurs clients tout en s’enrichissant.
Nous verrons ensembles les éléments suivants :
- La publicité
- Le produit d’appel du payant
- L’économie d’échelle, coût marginal nul
- La subvention croisée
- L’échange de travail
- L’altruisme propriétaire
- Le don
- Le cas particulier du monde Libre
Complémentarité des financements, mixité des modèles
Bien évidemment, ces différents modèles de financement aboutissant à la gratuité d’un service ou d’un produit sont complémentaires et peuvent se combiner à l’infini. Il ne faut pas naïvement croire que la gratuité est une finalité altruiste, il y a une logique commerciale bien entendu derrière. Cependant, tout n’est pas noir pour autant. La gratuité n’induit pas forcément une notion d’enrichissement aux dépens de l’internaute, il s’agit dans certains cas d’une relation privilégiée entre un administrateur Web ou un développeur et son public. La gratuité étant une condition sine qua non de l’adhésion du public, et les sources de financement de cette dernière un passage obligatoire pour qui en supporte réellement les frais.
La publicité
Ce doit être la forme la plus visible de financement de la gratuité. Nous la retrouvons partout, insérée dans les pages Web, certains softs gratuits, les forums, etc. Au même titre que la télévision privée ou une majorité de quotidiens, il ne s’agit plus de vendre du contenu au public, mais de vendre des spectateurs/lecteurs/clients à des annonceurs. Quelques chiffres ; la publicité en ligne représente 11,2 milliards d’euros investis en Europe en 2007, soit une progression de 40% par rapport à 2006, pour une répartition d’environ 920 millions d’euros dans l’hexagone. La publicité sur le Net se présente sous différentes formes, aux dénominations techniques particulières :
- L’affichage classique. Il s’agit ici ni plus ni moins que de la transposition de la publicité classique à l’environnement Web. S’appuyant sur des régies publicitaires alimentant des espaces alloués sur les pages des sites et forums, la tarification est notamment fondée sur le CPM, Coût par mille affichages. On retrouve cette forme de publicité presque partout ; elle fait partie notamment du panel de financement de nombre de sites et forums.
- Le matching, ou encore l’intermédiation automatisée. On retrouve ici sous cette dénomination le concept inventé par Google ; cela consiste à automatiser l’affichage d’espaces publicitaires en fonction de mots clés, et de l’analyse sémantique des pages.
- L’intermédiation chaude. C’est une forme plus affinée du modèle de matching, adaptée aux acteurs moins importants, comme ceux de la blogosphère notamment. S’affiliant à des structures d’acteurs, des régies publicitaires affinent leurs annonces en fonction de ces structures ; valorisant ainsi leurs annonces à des publics particuliers.
- Le social marketing media. Il s’agit de campagnes axées sur ce que l’on appelle les médias sociaux : MySpace, FaceBook, Second Life, en sont des exemples. Cette méthode permet à ses acteurs de tisser un lien intense entre les clients et la marque, avec tous les bénéfices en terme de profiling des clients et d’adaptation des produits à leurs désirs. La sortie de Lively de Google n’est pas anodine, et répond à un désir d’investir de la marque dans ce type de médias et de publicités.
Ces différents modèles de la publicité en ligne peuvent presque se transposer aux modèles de la publicité logicielle. Certains softs, téléchargeables gratuitement mais aux conditions générales d’utilisation et d’exploitation explicites, créeront des pop-ups publicitaires sur vos systèmes. Là encore, l’acteur se finance grâce à la publicité engendrée, les annonceurs trouvant là un moyen d’affichage adapté à une population précise. Sous couvert de cette publicité s’ajoutent souvent des procédés de profiling afin d’alimenter des bases de données comportementales, bien précieux et à forte valeur ajoutée.
Le produit d’appel du payant
Ce procédé pourrait se résumer ainsi : une minorité paie pour une majorité. Ce modèle s’appelle Freemium. Il s’agit en général d’une version grand public, gratuite, couplée à une version payante, mais plus évoluée pour des secteurs bien précis.
A titre d’exemple on pourrait insérer dans ce modèle certaines suites de sécurité, offrant une version gratuite aux particuliers, et une version plus évoluée et plus pointue aux professionnels ou aux particuliers exigeants (ex : Antivir) ; en fait tous les utilitaires disponibles gratuitement aux particuliers mais commercialisés aux professionnels (comme les logiciels de cryptage encore à titre d’exemple). Ou encore, sur un autre modèle, certains sites communautaires, de rencontres, offrant un accès gratuit de base, et payant avec des fonctions plus développées (Ex : Meetic). Les exemples pourraient être nombreux, et les bénéfices pour les acteurs à proposer ce type de gratuité sont importants, mais ils font l’objet d’un point à part plus loin dans ce sujet.
L’économie d’échelle, coût marginal nul
C’est-à-dire quand il est plus simple d’offrir que de faire payer. L’acteur se rattrapant sur d’autres produits dérivés. Plus on produit certains biens, plus ceux-ci sont bon marché, ne valant parfois presque plus rien. Autre cas de figure, en situation de concurrence, lorsque de nombreux acteurs sont présents sur un domaine, le client se dirigera naturellement sur le moins cher, l’acteur obtenant ses bénéfices par d’autres moyens.
Exemple, les logiciels gratuits : ce qui est coûteux est leur mise au point et tout le processus de conception ; par contre, les dupliquer n’entraîne quasiment pas de frais. Et, comme les acteurs se doutent bien que ceux-ci vont être largement copiés, alors que leurs coûts de distribution en ligne sont quasi nuls, ils préfèrent les donner, vendant ainsi d’autres services ou produits plus élaborés tout en obtenant des bénéfices de l’opération (voir la partie plus loin adaptée). Ce qui est vrai pour les logiciels l’est aussi pour l’hébergement en ligne et les capacités de stockage par exemple. Autrefois très chères, le coût du stockage tend de plus en plus vers zéro en raison des avancées technologiques. Les Fournisseurs d’accès Internet (FAI) peuvent donc proposer sans soucis des espaces de stockage à leurs clients ou non (Ex : free). Un autre exemple pertinent et d’actualité : la mise en ligne d’albums de musique gratuits par les artistes eux-mêmes, court-circuitant les circuits de distribution ordinaires. Là encore les bénéfices pour les acteurs sont énormes, pour un coût quasi nul vite rattrapé par les produits dérivés (concerts, etc).
La subvention croisée
Ce principe repose sur un acteur tiers. Une transaction entre deux acteurs peut être gratuite, si l’un des deux entretient un lien commercial avec un tiers.
Un produit ou un service est donc gratuit car dans la foulée un autre peut être vendu. L’exemple non-Internet le plus démonstratif est celui de l’installateur de la machine à café : cette dernière est fournie gratuitement au client, entretien compris ; en échange le client s’engage à acheter tant de quantités de café de telle marque régulièrement (en général mensuellement) à l’acteur. Un exemple Internet pourrait être Wengo, un logiciel gratuit open-source multi-plateformes au nom de projet OpenWengo, et une société WengoPhone fournissant des services de téléphonie et vendant des boîtiers de téléphonie assortis de forfaits.
L’échange de travail
Ou encore appelé le crowdsourcing. Cela consiste à faire réaliser en sous-traitance, donc externaliser des tâches qui ne sont pas du métier fondamental de l’acteur en échange d’un service gratuit ; le crowdsourcing consiste à utiliser la créativité, l’intelligence et le savoir-faire d’un grand nombre d’internautes, et ce, au moindre coût.
Ainsi, on a pu voir des entités malhonnêtes proposer des vidéos ou des petits jeux gratuits en Flash par exemple, sous réserve de répondre à un Captcha (reconnaissance de caractères afin de prouver qu’il s’agit d’un humain et non d’une machine). Ces réponses étaient ensuite utilisés afin de contourner les protections catcha anti-spam de certains sites et forums à des fins de mailing intensifs. Plus sereinement, le procédé est aussi utilisé à des fins plus ludiques, comme reCAPTCHA fournissant un même procédé antirobots spammeurs gratuitement tout en profitant de l’intelligence des réponses pour pallier ses erreurs de numérisation et de reconnaissance de caractères sur des ouvrages scannés.
L’altruisme propriétaire
J’évoque ce procédé même s’il ne s’agit pas de financement à proprement parler, mais dont la gratuité est la finalité. C’est une catégorie un peu marginale.
Il s’agit essentiellement de petits développeurs -professionnels ou non- mettant à disposition gratuitement et sans aucune contrepartie leurs créations et services sur la toile. Il existerait une pléthore d’exemples à vous donner. Ils se différencient d’autres acteurs car ils ne donnent pas pour autant les sources de leurs projets. Ces derniers subviennent par eux-mêmes aux éventuels frais occasionnés afin de fournir un produit final gratuit.
Le don
Financement évident d’une certaine catégorie de produits et services. Ces derniers, disponibles gratuitement, sont financés par les dons volontaires des utilisateurs.
Là encore les exemples pourraient être nombreux. On retrouve ce procédé sur certains forums et sites (Ex : assiste.com.free.fr), bases de données grand public (Ex : castlecops.com), etc. Les forums de désinfection anglophones fonctionnent souvent avec ce principe de dons volontaires, cela permet de subvenir aux frais d’hébergement et d’entretien de ces forums ou de rémunérer le temps des intervenants à traiter certains soucis. Ce dernier modèle n’existe que très peu dans le monde Internet francophone. Le gratuit issu des dons est le gratuit le plus instable financièrement, car totalement soumis à l’appréciation et aux dons des internautes.
Le cas particulier du monde Libre
J’ai voulu isoler cette catégorie des autres, car le monde du Libre est très spécifique. Par essence, un produit Libre est gratuit pour un particulier. Tout le monde a en tête l’idéal romantique de la communauté de développeurs passionnés et démonétisés du Libre. Mais comme tous travaux, le financement en est indispensable et ne peut en être occulté.
Quels sont les contributeurs au Libre ? Certes la communauté de développeurs enthousiastes évoqués plus haut que l’on pourrait qualifier de hobbyistes -professionnels ou non- mais aussi la recherche scientifique universitaire et la grande industrie informatique. On retrouve tous ces acteurs de la conception à la distribution de ces projets. Les intérêts de chacun sont multiples.
- Loin des idéaux révolutionnaires, il s’agit essentiellement de réduire les coûts de développement ; il est en effet plus rentable financièrement d’adapter un logiciel libre presque entièrement satisfaisant en développant la petite partie non satisfaisante, que de développer l’intégralité ou de le financer en externalisant son développement. Dans cette optique, les acteurs financiers subventionnent par une forme de mécénat certaines orientations conceptuelles car ils sont ou seront les principaux utilisateurs de ces travaux. On peut distinguer par contributeurs financiers des acteurs sociétaires, commerciaux, comme EasyNeuf et le projet open source “VoIP and video” Ekiga, ou encore Open Office avec Sun. On peut retrouver des acteurs institutionnels comme les collectivités territoriales ; le financement étant reporté sur la maintenance via une rétribution à une SSLL (Société de services en logiciels libres).
- Lorsqu’un logiciel libre est déjà développé, les acteurs commerciaux dont l’utilité du dit logiciel leur est profitable, vont s’en équiper cherchant ainsi à réduire, voire complètement minimiser les coûts d’acquisition. Le financement de ces acteurs se portera donc par la suite sur les coûts de la maintenance évolutive, en mutualisant ces derniers en se tournant vers le monde du Libre ; on retiendra trois grandes façons de rémunérer cette maintenance :
- À la communauté : l’acteur finance le développement d’une fonctionnalité particulière.
- À un prestataire : pour développer une fonction, l’acteur contributeur passe par une SSLL qui reverse le code à la communauté.
- À un développeur : l’acteur finance lui-même le développement d’une fonction en sponsorisant un développeur.
- L’innovation étant par essence risquée, les acteurs du domaine ont intérêt à mutualiser la prise de risques. Afin d’aboutir à un produit finalisé, le processus d’innovation doit sans cesse s’ajuster et de se réajuster ; ce cheminement créatif ne peut qu’être long (dans le temps) et erratique. Comptant sur le dynamisme et la participation de la communauté du Libre, les acteurs trouvent là un intérêt tout particulier à financer ces recherches.
Contrairement à ce qu’annonçait , François Elie, fondateur de l’Adullact : « il faut en finir avec le mythe du logiciel libre gratuit. L’open source est une manière de payer autrement (à plusieurs, en allouant du temps, etc.), et non de ne pas payer. », le libre est associé au gratuit pour longtemps dans l’imaginaire collectif, surtout dans la sphère relevant du particulier. Cet aparté dans les parties sur le financement de la gratuité avait, à mon sens, toute sa place.
Les bénéfices de la gratuité pour les acteurs
Suite aux différents modes de financement de la gratuité des produits et services, il faut réaliser que les bénéfices obtenus de cette gratuité pour les acteurs sont importants. Ces derniers sont de différentes natures, exposées ci-dessous de manière non exhaustive je suppose.
Une visibilité accrue
Pour les acteurs usant du mécanisme de la gratuité, qu’elle soit intéressée ou non, la visibilité ne peut qu’en être accrue. Il est évident qu’un produit ou un service gratuit est plus attractif et le gain en terme de visibilité sur l’Internet où foisonnent toutes sortes de projets n’est pas négligeable.
Un capital Sympathie
Découlant de l’effet gratuité et visibilité, le capital de sympathie et de confiance des clients vis à vis de l’acteur s’est accru. Il y a une interaction qui se passe entre le client et l’acteur, un début de fidélisation, voire une promotion par les clients eux mêmes. On entre là dans le domaine du marketing viral, fonctionnant à l’image du bouche à oreille, de mail en mail, de blog en blog. A noter que ce capital est précieux et fragile ; à titre d’exemple, le scandale provoqué par la volonté du fondateur de Facebook de mettre à disposition des annonceurs la formidable base de données créée par son service, jusque dans les conversations privées, fut retentissant chez les clients.
L’imposition d’un format propriétaire
La gratuité d’un produit peut avoir pour origine une véritable stratégie commerciale. Ainsi, l’acteur Adobeavec son produit Flash Player ou encore Adobe Reader : ces derniers sont tous deux téléchargeables gratuitement, et se sont rapidement imposés comme des standards du net. L’acteur se rattrapant sur la commercialisation de ses produits éditeurs de ces standards.
Protection contre la concurrence
Mettre à disposition un service ou un outil gratuitement favorise le monopole de certains acteurs. En effet, il faut que les acteurs concurrents disposent de bases financières solides pour pouvoir adopter cette même stratégie. Ainsi, on peut deviner qu’un acteur à monopole peut plus facilement imposer la gratuité de son produit, renforçant de même son monopole. Incidemment, le volume de clients utilisant le service ou le produit est inversement proportionnel aux volumes des clients de la concurrence ; rares sont les internautes cumulant les produits de même nature, se cantonnant plutôt sur celui qui les contente et cherchant à en appréhender toutes les limites. C’est toute une stratégie de fidélisation initiée par l’acteur qui s’ensuivra alors, et qu’il entretiendra soigneusement (accès aux bêtas, aux séminaires, etc).
Retour client
Dans le cas par exemple du modèle publicitaire Freemium, pourvoyeur de gratuité, le retour client en terme de satisfaction est exploité soigneusement. Cela permet ainsi à l’acteur de réajuster les qualités de son produit, fidélisant ainsi davantage la partie cliente gratuite et obtenant d’autant plus d’informations, tout en améliorant l’offre commerciale de son produit aux clients payeurs. L’acteur est ainsi gagnant sur plusieurs points : il fidélise une partie des clients, améliore son produit ou service, accroissant sa visibilité.
Potentiel publicitaire
Les conséquences toutes naturelles des bénéfices évoqués sont un potentiel publicitaire accru pour l’acteur. Plus ce dernier dispose de visibilité et de confiance d’une population internaute, plus ce dernier fidélise, monopolise, plus son environnement intéressera des annonceurs. Cercle vertueux de la publicité, cette dernière en appelant d’autres.
De plus, la constitution d’informations de profil clients, suite au retour des études de satisfaction, des remontées des utilisateurs peut constituer un vivier important pour les annonceurs, que ces mêmes acteurs peuvent leur négocier.
Complémentarité, association des bénéfices
A l’image des combinaisons multiples de financement de la gratuité, les bénéfices pour les acteurs de livrer un service ou un produit gratuit sont nombreux et exponentiels, les uns alimentant les autres, et inversement. On s’aperçoit ainsi qu’il ne s’agit pas d’une stratégie hasardeuse que de livrer un produit fini gratuit, mais d’une réelle volonté de développement en adoptant ce modèle, somme toute aussi viable -voire davantage sur la toile- que d’autres.
Conclusion
Évolution de processus commerciaux classiques mais adaptés à l’environnement de l’Internet, le modèle commercial de la gratuité s’impose chaque jour davantage. A l’heure du tout Internet, chacun veut disposer, immédiatement et gratuitement, de l’outil, du service, du produit dont il a besoin. La complexité par exemple d’accorder législations nationales et internationales avec l’industrie musicale et le domaine de l’Internet prouve qu’aujourd’hui l’internaute ne consomme plus de la même façon sur la toile.
Mettre gratuitement un livre en ligne peut-il être bénéfique pour les ventes? “Les gens téléchargent, mais ne lisent pas. Ils téléchargent pour se donner l’impression de posséder quelque chose qu’un jour ils vont lire. Mais quand les gens ont envie de lire, ils vont acheter les livres.” estime Paulo Coelho, après l’expérience de mise en ligne d’un texte, téléchargé plus d’un million de fois en quelques mois. “La plupart des gens qui téléchargent le livre ne finissent pas par l’acheter, mais ils ne l’auraient pas acheté de toute façon, je n’ai donc perdu aucune vente, je viens de gagner un public” compense pour autant Cory Doctorow.
Face à l’accumulation de l’offre, tirant les prix au plus bas, le modèle de la freeconomics semble le plus adapté. “Il n’y a jamais eu un marché plus concurrentiel que l’Internet, et chaque jour le coût marginal de l’information devient plus proche de rien du tout” explique Chris Anderson. Pour autant, la gratuité serait LE modèle ? Non, pourrait-on dire. Le cas des particuliers payant par exemple une licence de logiciel propriétaire crée là un contrat moral avec l’acteur : le client entend disposer d’un outil fonctionnel répondant à ses attentes, avec un service personnalisé à son usage et authentique. Il s’agit d’une relation de confiance liant l’un à l’autre, où l’un peut se retourner contre l’autre en cas de faillite aux attentes énoncées. Toutes qualités que le ‘gratuit’ ne peut imposer justement gratuitement, mais qu’il ne peut justement que mériter à force de fidélisation.
Que l’on s’en navre ou que l’on s’en réjouisse, la sphère marchande a complètement investi la toile. Et l’émergence du modèle économique de la gratuité n’est pas fini.
J’évoquais en introduction aux financements de la gratuité la notion de fausse gratuité. Mais la vraie n’en est pas absente pour autant. Le cas particulier de l’altruisme propriétaire, du don, et dans une certaine mesure du Libre en sont parfois des manifestations. Indirectement, au-delà des acteurs soucieux de la rentabilité nécessaire à leur survie, les plate-formes offertes permettent cet échange de vraie gratuité. Certaines d’entre elles, spécialisées en tutoriels (Ex : Le site du Zéro), en désinfection et dépannage de pc (les exemples pourraient être nombreux) sous la forme de sites, forums ou newsgroupes, en sont des manifestations.
Mais la vraie gratuité s’échange aussi entre clients, indépendamment des acteurs et des plate-formes. En évoquant par exemple les aides à la désinfection, proposées ici et ailleurs, il y a une réelle volonté désintéressée d’aider. Le bénévolat actif en matière de dépannage -sous toutes ses formes- est important. Le succès de ces dernières années des forums en témoigne.
Saisissant ce domaine de la vraie gratuité au travers de ces échanges, et selon le principe de la subvention croisée et de la publicité par intermédiation chaude, les mots de chacun peuvent ainsi devenir vecteurs publicitaires (principe des IntelliTXT) par la seule volonté des acteurs marchands. L’ajustement du volume des clients (intervenants) à leurs acteurs (administrateurs de forums), l’éthique de chacun et la confiance des uns aux autres, témoigneront de la viabilité ou non de ce modèle et de cette intrusion du monde marchand jusque dans les échanges de vraie gratuité.
“Il n’y a pas d’acte qui soit tout à fait gratuit ; même pas le don de soi-même. ” [Emmanuel Boundzéki Dongala]
On pourrait en effet nuancer cette notion de vraie gratuité, existe-t-elle vraiment ? Chacune des aides proposées par ces bénévoles intervenants n’est-elle pas un challenge personnel, un jeu intellectuel comme certains le feraient avec des mots croisés ou du sudoku ? N’y a-t-il pas là la recherche d’une reconnaissance virtuelle faisant défaut dans la vie quotidienne ? N’est-ce pas une compensation pour pallier de journées mornes, trop rationnelles et comptables ? Ne serait-ce une fuite d’un quotidien estimé trop médiocre, d’une vie trop vide ? Chacun possède ses réponses qui lui appartiennent. Nous quittons là la sphère de la mécanique de la gratuité pour celle de la psychologie, mais c’est un autre débat 🙂
Sources et liens pour poursuivre la lecture
- Publicité en ligne : 11,2 milliards d’euros investis en Europe en 2007
- Publicité en ligne : 920 millions d’euros dépensés par les annonceurs en 2007
- Les modèles d’affaires du web 2.0
- Blogging for Dollars
- Après les USA, la blogosphère européenne se structure
- 2001 – 2010: évolution du marché publicitaire Internet global
- 12 buzz dans le social marketing
- W2. Media inaugure le “sampling” produits
- W2.Media lève 1 million et vise le top 3 des régies externes
- La gratuité est-elle l’avenir de l’économie ?
- Les modèles d’affaires du web 2.0
- L’éloge de la gratuité
- Le logiciel est fait pour être libre!
- 10 mythes sur le logiciel libre
- La motivation des auteurs et le financement des logiciels libres
- Le logiciel libre est-il communiste ? Peut-être bien…
- L’Open Source est-il de gauche ?
- Réflexions sur le financement du logiciel libre
- Open source : la naissance d’un écosystème
- Mieux que gratuit : le business model réinventé
- Comment fédérer les utilisateurs de votre site web ?
- Comment financer le développement d’un logiciel libre
- Web-média, synthèse
- Donner pour vendre?
Beaucoup des sources citées ici sont des commentaires et des études des articles issues de la revue mensuelle américaine des nouvelles technologies Wired de Chris Anderson (blog), son rédacteur en chef ; et plus particulièrement de l’article suivant Free! Why $0.00 Is the Future of Business (voir ici).
Toutes ses réflexions devraient se retrouver dans un prochain bouquin, Free, normalement gratuit (?)
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Merci aux membres de #zebulon (IRC) pour le brainstorming et le coup de patte ponctuel, à Ipl_001 et Falkra pour les corrections, et à l’hebdomadaire Marianne qui en ne mettant pas ses archives en ligne à disposition de tous mais d’une élite abonnée (qui paie pour disposer d’articles qu’elle a déjà lus alors que ceux qui ne les ont pas lus n’y ont pas accès, cherchez la cohérence…) m’a obligé à me pencher complètement sur ce sujet au lieu de ne citer et pointer qu’un article 🙂
Dernière mise à jour le 2 décembre 2018